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Morgan Bourc'his - self portrait, Norway

Le Champion de quel monde

J'ai 41 ans et je suis triple champion du monde de plongée en apnée. En septembre dernier dans la rade de Villefranche-sur-Mer, j'ai acquis ma troisième couronne après une préparation de 10 mois. Je suis descendu à -91m de profondeur à la seule force de mes bras et de mes jambes, en nageant la brasse le long d'un câble que je n'ai pas le droit de toucher. J'avais l'annonce la plus profonde, et je suis passé en premier supportant ainsi une énorme pression sur les épaules en enfilant la tunique du favori le jour J, moi qui suis plutôt un outsider. Les conditions étaient compliquées, électriques, adverses. Immédiatement derrière moi, quatre concurrents tombent en syncope. J'étais prêt quelles que soient les conditions à réaliser ma performance. Et ce jour là, c'était le mien.

Aujourd'hui je suis donc à nouveau champion du monde, mais de quel monde parlons-nous? Je m'interroge car ce monde n'est plus celui que j'ai connu enfant dans les années 80s et 90s. Nous sommes entrés dans l'air du Printemps Silencieux de Rachel Carson, écrit pourtant en 1962. Celui de la crise écologique pernicieuse dans laquelle nous sombrons lentement. Celui de la sixième extension massive de la biodiversité. Elle n'est pas liée à un bouleversement géologique majeur comme au crétacé supérieur il y a 66 millions d'années à cause de l'impact d'une météorite qui entraîna la fin des dinosaures. L'impact ici, c'est celui sans précédent depuis moins de 200 ans de notre civilisation sur notre vaisseau mère la Terre. Pollution, choix énergétique douteux, surexploitation des ressources du vivant, du sous-sol, de l'eau, démographie logarithmique. Nous le savons tous, nous y participons tous malgré parfois nos efforts au quotidien. Ici même en écrivant ce texte grâce aux outils et aux énergies qui me le permettent. Jusqu'à l'avion qui me transportera au nord de l'Europe pour ce que je vais vous décrire ci dessous.

Engagé aux côtés du réalisateur, producteur et chef opérateur sous-marin Jean-Charles Granjon, je pars à la rencontre des grands cétacés des fjords de Norvège, très haut dans les latitudes nords. "La Quête du Sauvage" se déroulera au niveau du 70e parallèle sur l'île de Spildra. Nous allons vivre pendant un mois et partir à la rencontre de ces grands animaux qui poursuivent un immense banc de harengs, et des hommes qui entourent ce cycle naturel : pêcheurs, scientifiques, whales watchers, chaman, anthropologue, peuple autochtone Sami.

Il semble qu'aujourd'hui notre peuple civilisé se soit extrait de ce Sauvage. Il l'a dompté, aménagé, exploité, rationalisé, le plus souvent à outrance. S'il existe encore, il semble qu'il faille aller loin pour tenter d'en apercevoir encore une trace. En France, il n'existe plus. Sylvain Tesson nous explique qu'il n'y a guère d'équivalent français au mot anglais Wilderness qui désigne à la fois un lieu et un état d'esprit, où l'administration n'a que peu d'emprise. Nous sommes un des seuls pays au monde avec la Suisse à avoir l'ensemble de notre territoire quadrillé par un institut d'Etat, l'IGN (Institut National de l'information Géographique et forestière). Chaque parcelle de notre territoire, chaque relief, fissure, gorge, gouffre ,sommet, pic, aplomb, versant, cours d'eau, mare, étang, bosse, cuvette, forêt, porte un nom. Chaque recoin du territoire recèle une trace humaine, sous l'aspect d'une poterie romaine, d'une restanque moyenâgeuse, d'un sac plastique époque contemporaine.

Nous partons dans le Grand Nord pour tenter de rencontrer encore ce Sauvage, et interroger les hommes qui le côtoient. La rudesse du climat ajoutera une dimension dramatique à cette quête, comme s'il fallait imaginer une grande odyssée, une tribulation, une traversée fantastique juchée d'obstacles et d'épreuves pour tenter d'approcher un fragment de ce qui pourtant était légion dans notre pays et si bien narré par Stéphane Durand dans son ouvrage récent 20 000 ans ou la grande histoire de la nature.

Je tenterai de vous faire part de nos aventures dans le comté de Troms, où la "sauvagerie" semble ici aussi toute relative. La 4G, même aléatoire, étend ses ramifications proche du cercle polaire.

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